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Guanzhou - Une nouvelle ère - Documentaire (2022)

Les deux mille villageois de Guanzhou, une île fluviale à proximité de Canton, sont chassés en 2008 par les autorités locales pour construire un prétendu “Parc écologique”. Malgré la destruction de leurs maisons et la pression policière, une poignée d'habitants retourne vivre sur l'île. Pendant sept ans, Boris Svartzman filme leur lutte pour sauver leurs terres ancestrales, entre les ruines du village où la nature reprend petit à petit ses droits et les chantiers de la mégapole qui avance vers eux, inexorablement. Subiront-ilsle même sort que les cinq millions de paysans expropriés chaque année en Chine ?

Film Guanzhou - Une nouvelle ère - Documentaire (2022)
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Il peut se produire de singuliers jeux d’échos entre les films, parfois même au-delà des pays et des genres… Ainsi ce documentaire, première réalisation de Boris Svartzman, jeune sociologue et photographe franco-argentin, grand spécialiste de la Chine (il a assuré en 2018 la traduction en français du puissant documentaire de Wang Bing, « Les Âmes mortes »), dialogue étroitement avec un film de fiction qui doit sortir en France une semaine avant lui, « Goodbye, Mister Wong » (2020), film laotien de Kiyé Simon Luang. Cette fiction entrecroise un réseau de liens amoureux avec la toile de fond d’une urbanisation rampante, des entrepreneurs chinois risquant de convertir les paisibles rives d’un lac de barrage en site d’implantation idéal pour de grands complexes touristiques. Fermement ancré dans le réel, « Guanzhou, une nouvelle ère » pourrait se présenter comme une suite à cette fiction au bout du compte pas si fictionnelle, quelques années après…nnEn effet, regard subjectif pleinement assumé (caméra bringuebalante, on chemine avec lui sur les gravats, accompagné par le bruit de ses pas, ses interlocuteurs l’interpellent avec chaleur, le conviant à rester dîner, ou au contraire lui conseillant d’arrêter sa caméra, à cause de la police qui veille…), Boris Svartzman documente pendant sept ans le combat des plus pugnaces parmi les deux mille habitants de l’île fluviale de Guanzhou, près de Canton. En 2008 - ce sont alors des vidéos témoignages, tournées au portable par les villageois, qui sont intégrées au montage -, les forces gouvernementales, bulldozers à l’appui, ont en effet déferlé sur l’île, pour en déloger les habitants qui avaient refusé les offres de dupes qui leur avaient été faites afin d’obtenir la cession de leurs terrains ; ceci dans le but officiel de faire de ces lieux une « île écologique », et en réalité d’y faire pousser de hauts immeubles hôteliers…nnÀ la faveur des retours successifs du réalisateur sur l’île de Guanzhou, on accompagne le retour des villageois les plus attachés aux maisons qu’ils occupaient souvent depuis plusieurs générations. On assiste au déblaiement progressif des ruelles et chemins d’abord recouverts de gravats suite aux destructions, on s’introduit dans les maisons maintenant privées de portes et de fenêtres, mais réinvesties par des villageois qui préfèrent camper chez eux plutôt qu’errer dans une grande ville dont le coût immobilier leur est inaccessible et loin d’être couvert par des indemnités dérisoires, on admire la réorganisation de jardins qui redeviennent fertiles et peuvent de nouveau nourrir ceux qui sont revenus sur ce qu’ils vivent comme « leurs » terres. Mais surtout, on s’émerveille devant la beauté des visages. Tous. Aucun n’est distordu par la haine ou l’humiliation subie. Plus ou moins graves, plus ou moins souriants, tous frappent par une grande régularité des traits, une forme de sérénité fondamentale et inaltérable, même lorsque la colère est également bien et légitimement présente. Même après des propos de révolte et de condamnation, autour des démêlés législatifs avec l’administration, un sourire profond peut soudain surgir, empreint d’humour et de bienveillance face à cette créativité un peu folle et déraisonnable de l’existence. L’évocation du passé, aussi, permet l’attendrissement, par exemple lorsque sont évoquées ces troupes de théâtre qui venaient autrefois se produire sur l’île, « au bord de l’eau », évocation qui éveille chez le spectateur le souvenir d’un autre film, suivant la difficile survie d’une petite troupe familiale, le très beau et très poétique « Vivre et chanter » (2019), de Johnny Ma.nnAu-delà du caractère frappant de ce combat singulier, le spectateur occidental est surtout impressionné de constater combien la logique capitaliste peine peu à s’implanter en territoire communiste. Il semblerait même qu’elle s’accommode fort bien d’un discours ancien qui lui serve de camouflage parfait pour s’exercer plus impunément, le bonheur de tous pouvant toujours être brandi dans les slogans officiels. Sans compter l’opportune écologie, dont l’étiquette vaut comme estampille venant absoudre les entreprises les plus cyniquement commerciales… À la manière de la science-fiction, dont le décalage dans le temps peut toutefois projeter un éclairage instructif sur notre monde contemporain, ce documentaire, tourné dans l’Orient lointain de la Chine, ne peut que nous encourager à questionner la sincérité des programmes officiels, sous nos propres latitudes.